En France, la question de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées se pose avec d’autant plus d’acuité que l’on estime aujourd’hui qu’une personne sur quatre issues des générations du baby boom aura à en souffrir. Plusieurs pistes d’évolution sont actuellement proposées…
Au 1er janvier 2008, l’Insee recensait 1 314 920 personnes âgées de plus de 85 ans. En 2015, elles seront plus de 2 millions. Selon le Centre d’analyse stratégique, le nombre des personnes présentant de forts handicaps devrait passer de 660 000 en 2005 à 940 000 en 2025. Parallèlement, du fait même du vieillissement de la population, le nombre moyen d’aidants potentiels par personne âgée dépendante aura tendance à diminuer.
Considérant que les quatre branches de la Sécurité sociale (maladie, accidents du travail et maladie professionnelle, famille -FamilleGroupe de personnes liées par des liens de filiation et d’alliance- , vieillesse) ne seront pas en mesure de répondre à ce défi démographique, le gouvernement (Gouvernement : Organe collégial composé du Premier ministre, des ministres et des secrétaires d’Etat chargé de l’exécution des lois et de la direction de la politique nationale) envisage d’assurer la prise en charge de la dépendance par la création d’un « 5ème risque », combinant un financement public au titre de la solidarité et la mise en place d’une assurance individuelle encouragée par des incitations fiscales. D’où l’emploi de l’expression « 5ème risque », avec la dimension assurantielle qu’elle suppose, préférée à celle de « 5ème branche » de la Sécurité sociale.
La prise en charge de la dépendance : des dispositifs divers qui ne constituent pas une réponse d’ensemble
Dans la définition retenue par la loi du 24 janvier 1997, la dépendance se dit de « l’état de la personne qui, nonobstant les soins qu’elle est susceptible de recevoir, a besoin d’être aidée pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie ou requiert une surveillance régulière « .
En 2008, la dépense publique liée à la prise en charge des personnes âgées dépendantes (prestations de santé et prestations de « compensation de la perte d’autonomie ») s’élève à 19 milliards d’euros par an, soit l’équivalent d’un point de PIB.
La prise en charge des personnes âgées dépendantes et celles des personnes handicapées relèvent de réglementations distinctes : la barrière de l’âge (avant et après 60 ans) explique que deux personnes atteintes du même type de handicap relèvent de dispositifs spécifiques (réglementations, structures d’accueil). Cette spécificité de traitement résulte d’une succession de mesures, initiée en 1962 avec la création de la prestation d’aide ménagère à domicile. La loi du 30 juin 1975 institue l’Allocation compensatrice tierce personne (ACTP) en faveur des personnes handicapées. Financée par la solidarité nationale, elle est étendue en 1983 aux personnes âgées, avant d’être remplacée par la Prestation spécifique dépendance (loi du 24 janvier 1997), elle-même supprimée lors de la mise en place de l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA) le 1er janvier 2002.
L’APA est une aide financière attribuée aux personnes d’au moins 60 ans qui, malgré les soins qu’elles reçoivent, ont besoin d’être aidées pour l’accomplissement des actes essentiels de la vie courante ou requièrent une surveillance particulière. Elle compte plus d’un million de bénéficiaires en 2007, pour un coût estimé à plus de 4,4 milliards d’euros, assumé à 68% par les départements. 60% des bénéficiaires de l’APA vivent à domicile, 40 % en établissement d’hébergement spécialisé. Les bénéficiaires de l’APA peuvent par ailleurs percevoir l’Aide personnalisée au logement (APL), l’Aide sociale aux personnes âgées, l’Allocation de logement à caractère social (ALS) ou l’Allocation départementale personnalisée d’autonomie (ADPA).
La loi du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté (Citoyenneté : Lien social établi entre une personne et l’État qui la rend apte à exercer l’ensemble des droits politiques attachés à cette qualité sous réserve qu’elle ne se trouve pas privée de tout ou partie de cet exercice par une condamnation pénale – privation de droits civiques-). Juridiquement, un citoyen français jouit de droits civils et politiques et s’acquitte d’obligations envers la société. des personnes handicapées » pose le principe du droit à compensation des conséquences du handicap, quels que soient l’origine de ce handicap, la nature de la déficience, l’âge ou le mode de vie de l’assuré social. La loi précise et renforce par ailleurs les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) créée par la loi du 30 juin 2004 : la CNSA finance et coordonne les actions en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Elle reverse notamment aux départements une partie des fonds collectés au titre de la cotisation de solidarité pour l’autonomie. La loi de 2005 crée les maisons départementales de personnes handicapées (MDPH) et instaure en outre la Prestation de compensation pour les personnes handicapées (PCH), financée par les départements et à destination des personnes âgées de 20 à 59 ans.
Un droit universel à compensation : quel périmètre, quels financements, quelle gouvernance ?Annoncée dès juin 2007, la volonté du président de la République de mettre en place le 5ème risque de protection sociale répond au souhait de réformer les circuits de financement de la dépendance, jugés trop complexes et n’étant pas de nature à favoriser la gestion à long terme de la solidarité nationale. Elle s’est traduite par l’organisation d’une phase de concertation avec les partenaires sociaux, parallèlement à la publication de plusieurs rapports traitant de cette question.
Comme indiqué par le gouvernement dans sa lettre aux partenaires sociaux du 20 mars 2008, la négociation porte notamment sur le contenu du « panier de biens et services » du 5ème risque et sur son financement, la définition de la part de la solidarité nationale et de celle de l’individu en constituant l’une des questions clés. Elle s’est achevée le 22 décembre 2008.
Postérieurs au rapport Gisserot (mars 2007), qui préconise notamment le développement de l’assurance-dépendance aux cotés d’une APA aménagée, les rapports de la CNSA (octobre 2007) et de la mission commune d’information du Sénat (juillet 2008) sont deux contributions dont le gouvernement a entendu s’inspirer pour l’élaboration du projet de loiProjet de loiProjet de texte législatif déposé au Parlement à l’initiative du gouvernement..
Dans son rapport annuel 2007, la CNSA dresse le constat des limites du système actuel : montant insuffisant de l’APA pour combler le « reste à charge » des familles, disparités entre départements, complexité des réglementations qui entraîne des ruptures dans l’accès aux droits et l’épuisement des aidants familiaux. Ses propositions conduisent à distinguer, d’une part, la question du contenu du droit universel d’aide à l’autonomie (évaluation personnalisée et pluridisciplinaire des besoins selon un référentiel de biens et services devant fixer les différents éléments de la prestation personnalisée de compensation) et d’autre part les options possibles pour le financement de ce droit.
La CNSA souligne ainsi la nécessité d’une triple clarification concernant :
- la part du financement public et des mécanismes de prévoyance individuelle ou collective,
- la prise en compte des ressources du bénéficiaire pour décider de l’accès au financement ou pour décider du niveau couvert par ce financement,
- la part du financement dévolue à la solidarité nationale et au département.
La démarche proposée par la mission commune d’information du Sénat s’appuie, d’une part, sur le principe de la garantie d’une liberté effective de choix des personnes âgées dépendantes et de leurs familles entre l’hébergement à domicile ou en institution et, d’autre part, sur la mise en place des solutions pérennes pour diminuer les montants restant à la charge des plus modestes et des classes moyennes.
Quatre pistes sont proposées :
- un effort « plus équitable » en direction des personnes isolées et des patients atteints de la maladie d’Alzheimer vivant à domicile,
- une meilleure prise en compte de la capacité contributive des bénéficiaires de l’APA, en offrant aux détenteurs des patrimoines les plus élevés le choix entre une prestation à taux plein assortie d’un gage et une prestation à taux réduit servie sans condition,
- la mise en place d’un risque mixte (pour la dépendance), comprenant un premier « socle » de financement par la solidarité nationale et un « étage de financement assurantiel », moyennant une politique fiscale adaptée (par exemple : couplage des contrats d’épargne-retraite avec la couverture du risque dépendance, ou réorientation des produits d’assurance-vie vers la souscription de produits d’épargne-retraite et de couverture contre le risque de dépendance),
- une « gouvernance à renforcer et à simplifier », avec le rétablissement d’un partage à parité du financement entre l’Etat et les départements, ainsi qu’une modification des critères de péréquation pour la répartition des financements de la CNSA.
Les contours du futur projet de loi sur le 5ème risque de protection sociale
La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 prévoit d’ores et déjà la prise en charge de la dépendance lorsqu’elle est liée à la maladie d’Alzheimer et un meilleur accompagnement des personnes handicapées. Elle rappelle les objectifs assignés au projet de 5ème risque de protection sociale qui doit voir le jour au cours du premier semestre 2009 :
- mettre en œuvre un nouveau droit universel à l’évaluation des besoins d’accompagnement des personnes en perte d’autonomie, quel que soit leur âge,
- améliorer et mieux coordonner l’ensemble des dispositifs de soutien à domicile, afin notamment d’aider d’avantage les personnes les plus lourdement dépendantes ou isolées,
- réduire le « reste à charge » des personnes résidant en maison de retraite,
- assurer le financement à long terme du 5ème risque et définir un partenariat public-privé,
- renouveler la gouvernance nationale et locale du secteur médico-social.
Les premières réactions à ce projet se polarisent autour de la mise en place éventuelle d’une prestation unique dégressive, calculée à la fois en fonction du revenu et de la perte d’autonomie, et ayant vocation à se substituer à l’APA et la PCH. Sont également débattues la participation des bénéficiaires au financement du dispositif ainsi que l’instauration d’un système de « gage volontaire » sur leur patrimoine (un amendement à la loi de financesLoi de financesLoi qui détermine, pour un exercice (une année civile), la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’État, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. pour 2008 avait été présenté en ce sens par le gouvernement avant d’être rejeté par le Sénat).
Les élus locaux se déclarent particulièrement soucieux de la place allouée aux départements concernant le financement et la gouvernance du 5ème risque.
Le milieu associatif et les organisations syndicales se montrent particulièrement attachés aux principes ayant guidé la création des quatre branches de la sécurité sociale, à savoir un accès universel aux prestations et une égalité de traitement pour tous. La conjugaison de la solidarité nationale et de la responsabilité individuelle semble être cependant la piste choisie par le gouvernement.
Article publié le 19 Juillet 2010
Source : LE MONDE.FR Patrick Roger
Extrait :
Lors de son entretien télévisé du 12 juillet, Nicolas Sarkozy a confirmé son intention, sitôt achevée la réforme des retraites, d’engager le dernier grand chantier de la législature : la prise en charge de la dépendance. C’était un des engagements majeurs du candidat Sarkozy à l’élection présidentielle de 2007 : « Créer un organisme dont le but sera de préparer notre pays au défi de la dépendance et veiller à ce que, sur tout le territoire, de manière égale, il existe des structures suffisantes pour prendre en charge les personnes en perte d’autonomie ». Sans cesse différée depuis, la création du « cinquième risque » restera à l’état d’ambition (?).