De tout temps, les assureurs automobiles ont marqué une certaine défiance à l’égard des vols de véhicules. D’abord, ce sont des sinistres aisés à contrefaire lorsqu’on veut se débarrasser de son véhicule en bravant la vigilance de l’expert. Ensuite, parce que l’aléa indispensable à la notion d’assurance ne peut résister à l’incurie d’un automobiliste imprudent. Enfin, dans bien des cas, la disparition du véhicule rend le vol indémontrable, laissant l’assureur face à son client qu’il est tenu de considérer de bonne foi.
Initialement, les assureurs encadraient leur garantie en imposant la preuve d’une effraction de l’habitacle que l’on pouvait démontrer si le véhicule était retrouvé ou si du verre brisé la laissait présumer. La démonstration était alors admise si la déclaration de l’assuré exposait les circonstances de façon plausible. L’effraction engageant la garantie est également acquise si elle s’est exercée sur le meuble contenant les clés même si le contrat est muet sur ce point au motif que « le fait de voler par effraction les clés d’un véhicule, puis de les utiliser pour le dérober, équivaut à l’effraction du véhicule lui-même » (Cass. 1re civ. 16 mai 1995, n° 92-15310) au domicile du propriétaire (home jacking). L’assureur y ajoute le vol par agression pendant l’usage du véhicule (car jacking).
Les moyens de prévention et de protection sont venus sécuriser les véhicules : coupe-circuit, obligation de placer les voitures haut de gamme dans des lieux clos, traqueur GPS permettant de tracer le véhicule dérobé.
Le développement du véhicule connecté supposé apporter plus de sécurité à sa possession, s’il a indéniablement amélioré le confort, a créé une vulnérabilité face à des réseaux de délinquants techniquement équipés et formés pour contourner les équipements antivol. L’effraction électronique, appelée « vol à la souris » (ou mouse jacking), présente l’avantage d’être très rapidement perpétrée, avec peu de risque et sans endommager le véhicule qui peut ensuite être facilement écoulé ou converti en pièces détachées. Au passage, il peut même subir une réduction du nombre de kilomètres au compteur par la même voie que celle qui a permis le vol.
Voitures volées
(Source : service statistique ministériel de la Sécurité intérieure)
Le ministère de l’Intérieur a observé que le nombre de véhicules volés avait baissé jusqu’en 2012, alors que le parc national augmentait, mais qu’à partir de 2013 la statistique avait manifesté une progression. Dans le même temps, la part des véhicules non retrouvés progressait pour se situer au-dessus de 55 %. Cette recrudescence des disparitions de véhicules ne s’explique que par une « professionnalisation » et une internationalisation des filières dont l’habileté s’exerce dès l’appropriation du véhicule. Le vol à la souris prend une part prépondérante des disparitions de véhicules (1/2 à 2/3 selon les sources). (1)
Il existe de nombreux moyens de voler une voiture. Certains nécessitent du matériel que l’on trouve aisément sur Internet, d’autres des complicités chez le constructeur pour connaître les codes et programmer une nouvelle clé. Un boîtier électronique permet de perturber la fermeture des portières ou de capter le code d’ouverture. Une fois dans l’habitacle, le voleur n’a plus qu’à brancher un outil électronique sur la prise diagnostic OBD (on board diagnostic) du véhicule. Il pourra alors reprogrammer une télécommande « vierge » qu’il se sera au préalable procurée. S’il est équipé d’un brouilleur, il sera intraçable par le GPS. Il est également possible avec un ordinateur portable de prendre à distance la maîtrise d’une voiture en circulation ou seulement de perturber sa conduite pour contraindre son conducteur à s’arrêter. Si les protections adéquates ne sont pas mises en place, cela augure mal de la sécurité des voitures autonomes qui devraient circuler sur nos routes dès 2020.
Le palliatif préconisé par tous les professionnels est le retour à la canne antivol, d’un coût de l’ordre de 100 €, qui assujettit ensemble le volant et une pédale. Ce matériel, perçu comme obsolète, revient en faveur en présentant une résistance au vol de l’ordre de 10 minutes et son effraction est destructrice. Un voleur préférera jeter son dévolu sur une voiture dépourvue de cette protection.
Les clauses vol
Le périmètre de la garantie « vol » varie de façon significative d’un assureur à l’autre. Cela contredit l’idée reçue que la couverture de l’assurance automobile est standardisée et que seuls les montants de la cotisation et de la franchise distinguent les différentes offres d’assurance.
Les assureurs se réfèrent à la définition du vol donnée par le Code pénal (art. 311-1) : « Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » qui présente l’avantage pour l’assureur d’être juridiquement incontestable et qui exclut le détournement (assimilé à l’abus de confiance ; CA Bordeaux 2e ch. civ., 14 mars 2006) ou l’appropriation par ruse, certaines assurances « haut de gamme » couvrant toutefois explicitement ces cas.
L’assuré a une double preuve à apporter (art. 1315 devenu 1353 C. civil). Il doit dans un premier temps démontrer que le véhicule a été dérobé, ce qui constitue un fait juridique. Généralement, les assureurs se satisfont d’un dépôt de plainte pourvu que la déclaration des circonstances soit plausible et cohérente. En second lieu, il convient d’apporter la démonstration d’une circonstance garantie, en l’occurrence, l’effraction, ce qui n’est pas aisé lorsque le véhicule a disparu. L’expertise peut l’avérer lorsque la voiture est retrouvée mais là encore, elle est souvent incendiée ce qui rend l’examen de l’épave peu exploitable. Pour ces raisons, la disposition la plus fréquemment mise en cause par les assurés est la subordination du vol garanti à l’existence d’une effraction de l’habitacle, celle-ci devant être démontrée par l’assuré. Plus encore, les contrats low cost tendent à exiger la double effraction : celle de l’habitacle ou de sa serrure et celle de la colonne de direction (Neiman) (CA Limoges, ch. civ., 20 mars 2014, n° 13/00216).
Le mécanisme en deux temps de la clause de garantie prévoit donc la démonstration d’un fait générateur suivi de la réalisation d’une condition de garantie ce qui permet de s’abstraire du formalisme et de l’extrême précision des exclusions.
Sur la voie d’une couverture plus étendue
Se maintenir dans cette position rigide en se cramponnant au « contrat faisant la loi de parties » avec la justification que l’assuré avait adhéré à l’assurance et à sa tarification ne pouvait avoir qu’un temps. Plusieurs assureurs ont montré la voie en assouplissant leurs conditions car leur souci n’était pas d’enfermer leurs assurés dans un « étroit couloir » de conditions mais de couvrir un aléa réel où l’incurie d’un automobiliste n’avait pas sa place.
Ainsi, on a vu des formulations telles que : « Le vol doit être caractérisé par la constatation d’indices sérieux rendant vraisemblable l’intention des voleurs » son caractère général est plutôt extensif et favorable aux assurés.
Ou « … si le vol a été commis sans l’aide des dispositifs de déverrouillage ou de démarrage du véhicule alors qu’ensemble les portes du véhicule étaient verrouillées, l’habitacle clos, ses systèmes de protection antidémarrage activés » : plus précise, cette clause indique que la garantie est acquise dès lors que les dispositifs de fermeture et de protection étaient actionnés même si on ignorait comment les malfaiteurs avaient procédé.
Vers l’interdiction d’exclure l’effraction électronique
C’est devant la cour d’appel de Paris qu’a été présentée une affaire de vol à la souris qui a permis de considérer le champ de la garantie « vol » à la lumière de la législation consumériste.
Un particulier, propriétaire d’une voiture Peugeot, garantie par un contrat multirisque automobile, constate le vol de son véhicule. Celui-ci est découvert deux jours après complètement dépouillé. L’expert missionné par l’assureur constate l’absence de traces d’effraction physique. L’assuré présente les deux clés avec lesquelles la voiture avait été livrée, écartant toute suspicion de négligence de sa part. L’assureur, s’appuyant sur son contrat limitant la couverture à l’effraction du véhicule, refuse la prise en charge du sinistre. Il est condamné devant le tribunal de grande instance mais interjette appel.
La compagnie soutient que les dispositions générales de la police sont dénuées d’ambiguïté et parfaitement claires en ce qu’elles ne garantissent pas le vol sans effraction et que la démonstration de traces d’effraction constitue un élément substantiel de la mise en jeu de la garantie vol. Elle souligne que quoique ce ne soit pas une exclusion, cette disposition figure au contrat en caractères gras. De plus, dans le chapitre consacré aux modalités de fonctionnement de la garantie, elle indique que « si le véhicule est retrouvé sans effraction de nature à permettre sa mise en route et sa circulation… la garantie vol ne serait pas acquise », précisant ainsi les conditions matérielles auxquelles la garantie est subordonnée.
Pour sa part, l’assuré fait remarquer, à juste titre, que la matérialité du vol n’est pas contestée par l’assureur, l’objectif des voleurs étant clairement établi par l’état dans lequel ils ont abandonné la voiture. Il conteste la qualification de la clause écartant la garantie en cas d’absence d’effraction physique en affirmant qu’il s’agit en fait d’une exclusion « déguisée » soumise à l’article L113-1 du Code des assurances. Il soutient qu’en conséquence, elle vide la garantie de sa substance (2), l’assuré étant en droit d’attendre que l’assurance prenne en charge le vol sans en exclure des circonstances étrangères à son comportement et qui de plus, présentent depuis quelques années une fréquence d’occurrence élevée. En tant que particulier, l’assuré peut s’appuyer sur le Code de la consommation (art. R212-2. 9e actuel) qui classe parmi les clauses présumées abusives le fait de « limiter indûment les moyens de preuve à la disposition du consommateur » (3).
Sinistralité vol (véhicules 1re catégorie hors flotte)
(Source : marché de l’assurance automobile 2015, étude FFA juin 2016)
Ci-dessus : la fréquence des vols diminue chaque année tandis que le coût moyen des sinistres progresse en raison de l’augmentation de la part des véhicules non retrouvés.
L’assureur est donc condamné à prendre en charge l’indemnisation du véhicule ainsi qu’un préjudice d’immobilisation de 20 € par jour depuis l’exigibilité de la garantie jusqu’à la date d’indemnisation de l’assuré (CA Paris, pôle 2, ch. 5, 22 sept. 2015, n° 14/14596).Dans la lutte du « pot de terre contre le pot de fer » que règle la législation consumériste, l’assureur était condamné à échouer et la Cour retient qu’il ne peut valablement limiter à des indices prédéterminés la preuve du sinistre. D’une part, selon l’article 1315 du Code civil (art. 1353 nouveau), l’administration de la preuve est libre. D’autre part, la clause ne correspond plus aux techniques actuelles de perpétration d’un vol que l’expert missionné par l’assuré avait longuement exposées dans son rapport, en mentionnant que des sites internet proposaient des clés Peugeot vierges. Enfin, les magistrats retiennent qu’elle limite indûment les moyens de preuve à la disposition du non-professionnel et que la démonstration de « l’effraction au sens commun du terme » est réalisée. La jurisprudence antérieure (Cass. 2e Civ. 16 déc. 2010, n° 09-69829) validant la condition de garantie « qui formulait des exigences générales et précises auxquelles la garantie était subordonnée, instituait les conditions de celle-ci, et non une exclusion de garantie » devient obsolète et se trouve qualifiée de clause abusive.
Cet arrêt n’a pas fait l’objet, à notre connaissance, d’un pourvoi en cassation. Si cela avait été le cas, sa motivation était suffisamment argumentée pour qu’il soit confirmé et que la jurisprudence qu’il engendre soit étendue aux contrats existants. Certains assureurs ne s’y sont pas trompés et ont déjà adapté leurs dispositions ou ont circularisé auprès de leur réseau que le « vol à la souris » était maintenant couvert même en contradiction avec la formulation de leur garantie. Cela va tendre à uniformiser sur cette circonstance les clauses du marché mais il restera toujours la faculté de hausser la franchise en cas d’effraction électronique avérée. À défaut, les consommateurs auront la possibilité, par le truchement de leurs associations, de rendre illicite la non-assurance du « vol à la souris » (arts L 621-7 & 621-8 C. conso.).
Au-delà de l’assurance automobile, c’est l’édifice des conditions de garantie qui se fissure un peu plus même s’il demeure solide dans le domaine des assurances d’entreprises.
Par Lionel Ray, consultant en assurance – Le 02/05/2017 LA TRIBUNE DE L ASSURANCE
(1) Pour cette raison, la traçabilité des pièces de réemploi utilisées dans la réparation automobile est un point important auquel les garagistes et les experts doivent prendre garde car ils risquent de voir leur responsabilité civile et pénale recherchée.
(2) Voir Cass. 2e civ. 9 févr. 2012, n° 10-31057
(3) Ces clauses ne sont pas interdites mais il appartient au professionnel d’établir leur légitimité.
(4) La prime pure est le produit du coût moyen de sinistre par la fréquence. Ce ratio permet de mesurer le coût du risque.