Prévoyance et portabilité pour tous ?
Pour mémoire
Dans un contexte où la Cour des Comptes propose des solutions afin de limiter le déficit de la Sécurité sociale par des dispositifs réduisant la couverture de base des assurés, une proposition de Loi « visant à instaurer une prévoyance collective obligatoire pour tous les salariés » a été déposée le 28 mai 2024 au Parlement et renvoyée à la Commission des affaires sociales.
Cette proposition de Loi pourrait engendrer des incidences majeures dans le monde de la protection sociale complémentaire.
Actuellement, la mise en place d’une couverture prévoyance est obligatoire seulement pour les salariés cadres.
Les salariés non-cadres ont toutefois la possibilité d’être couvert :
> Soit par une disposition de la CCN donnant obligation d’une couverture prévoyance pour les non-cadres ;
> Soit par des couvertures individuelles
Cela étant, le recours à des contrats individuels est peu employé soit parce que les salariés n’ont pas connaissance de cette possibilité, soit parce qu’ils y renoncent (souvent lié au budget).
La généralisation de la prévoyance au travers d’un nouvel article L. 911-7-2 du code de la Sécurité sociale peut alors permettre de lutter contre ce phénomène et protéger ainsi au mieux les salariés.
Cette idée avait été émise depuis la généralisation de la complémentaire santé entrée en vigueur le 1er janvier 2016.
On peut imaginer que le chantier de la généralisation de la complémentaire santé de la fonction publique a contribué à cette proposition.
À retenir
La généralisation de la prévoyance (articles 1 à 3)
Les auteurs de la proposition de Loi souhaitent rendre plus accessible la couverture prévoyance aux salariés non-cadre, pour cela elle donne obligation aux employeurs d’une mise en place d’une prévoyance pour tous les salariés.
Plus précisément, elle met en avant aux termes de son article 2 des modalités de couverture telles que :
> Une cotisation de minimum à 1,50% du salaire Tranche 1
> Un financement patronal au minimum de 50%
> Pas de garanties minimales (liberté contractuelle)
> Dispenses possibles
S’agissant de ce dernier point, la proposition suggère des dispenses (qui interviendront par décret). Cette suggestion met en avant plusieurs paradoxes :
> Premièrement, l’objectif de la loi est d’assurer tous les salariés aux risques lourds. Or, il est contraignant de donner des possibilités de dispense sur des risques lourds et plus particulièrement pour les contrats courts ;
> Deuxièmement, l’obligation d’une couverture pour les salariés cadres ne prévoit pas des cas de dispense hors dispense d’ordre public. Il est donc surprenant de mettre en place des dispenses pour des salariés non-cadres qui sont exposés plus facilement aux risques, alors même que la loi a pour objet la lutte contre le non-recours à la prévoyance.
Si la proposition de loi est votée, celle-ci prévoit un calendrier strict pour les partenaires sociaux :
1. Une négociation des branches dès le 1er janvier 2025
2. Les entreprises qui ont au moins 1 délégué syndical devront conclure un accord entre le 1er février 2006 et le 1er février 2027.
3. De plus, les partenaires sociaux devront respecter un délai de 18 mois entre l’entrée en vigueur de l’accord et la date du 1er avril 2027 (l’accord devra donc être conclu avant le 1er octobre 2025).
4. En cas d’échec des négociations, la couverture devra être formalisée par DUE (jusqu’au 1er avril 2027).
Pour les CCN qui prévoient déjà une couverture prévoyance obligatoire pour les salariés non-cadres, alors celles-ci devront être réexaminées pour se conformer aux dispositions de la proposition de Loi si votée.
La portabilité de la couverture prévoyance (article 4)
Pour rappel, la portabilité énoncée à l’article L.911-8 du code de la Sécurité sociale consiste à un maintien des garanties santé et prévoyance pour les salariés dont le contrat de travail a été rompu (sauf pour faute lourde) et qui ouvre droit à une indemnisation par l’assurance chômage.
Ce maintien permet ainsi à l’ancien salarié de bénéficier des garanties du contrat collectif jusqu’à 12 mois maximum (au prorata de l’ancienneté) sans paiement d’une cotisation (paiement de la portabilité par les cotisations des actifs).
De jurisprudence constante, lorsque le contrat d’assurance est résilié les anciens salariés bénéficiaires de la portabilité n’ont plus le droit à la portabilité. Ce principe a récemment été repris par une jurisprudence de la Cour de cassation du 15 février 2024.
Cette même jurisprudence a permis de reconnaitre la fin de la portabilité lorsque l’assureur résilie le contrat après la mise en liquidation d’une entreprise.
La proposition de Loi prône un tout autre principe puisque son article 4 prévoit un maintien de la portabilité malgré la résiliation du contrat.
Cette suggestion répond ainsi aux contrariétés des liquidateurs judiciaires à la suite de l’arrêt rendu par la Haute Cour le 15 février 2024.
On peut d’ores et déjà se demander comment sera financé cette portabilité …
La piste d’une augmentation de la cotisation du régime de la garantie des salaires (AGS) n’est pas à exclure : elle permet pour rappel de garantir le paiement des sommes dues aux salariés (salaires, préavis, indemnités de rupture, etc.) en cas de procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
Cette garantie est financée par une cotisation patronale obligatoire pour tous les employeurs.
> Cour de Cassation 2eme ch. civile, 15 février 2024 – pourvoi n° 22-16.132,
> Articles L911-7 et L911-8 du Code de la sécurité sociale.